[Je rappelle qu'il s'agit là, à l'origine, d'un commentaire faisant réponse à Bertrand Tavernier sur son blog, que je n'ai pas réussi à envoyer. J'ai fini au bout de deux jours et une bonne trentaine d'essais non transformés par renoncer, pour ne pas non plus devenir dingo. Par la suite, Martin Brady semblant intéressé, j'en ai rajouté une bonne couche. Comme de nos jours, malgré tous nos outils modernes, il devient parfois très compliqué de communiquer simplement, j'ai ouvert cette page en lien, au moins pour que Martin Brady puisse la lire. Jean-Charles F.]

(9 juin 2012, autour de minuit...) A Bertrand Tavernier : (Je retranscris, à chaud, un premier commentaire que je viens d'envoyer et qui s'est volatilisé...) Je ne suis que projectionniste, ou plutôt devrais-je dire j'étais. Mes connaissances en matière de formats n'ont rien d'épatant, sont celles d'à peu près n'importe quel projectionniste du temps du cinéma argentique (c'était hier...), le b-a-ba, en somme. Pas vraiment un spécialiste donc. Je dois même parfois me tromper... (Par exemple, le 1.66, comme je disais un peu vite et à tort plus haut, n'a pas disparu fin des années 80, a encore un peu continué d'exister ensuite. L'idée, c'était que le 1.85 (américain) avait finalement gagné "la guerre des formats panoramiques" et que le 1.66 apparaissait aujourd'hui comme un format du passé.) Ce que je dis des formats vidéos (télé) n'est peut-être pas non plus toujours exact. Il nous faudrait les lumières d'un spécialiste des transferts de films 35 en numérique. Plus celles d'un genre d'archiviste du cinéma qui saurait dire avec précision dans quel(s) format(s) un film a été tourné, une base de données fiable. Moi je ne suis qu'un simple amateur de films avec un œil (parfois maniaque) de projectionniste. On est plus ou moins sensible au cadre, à la composition. Cet après-midi, j'ai revu SHOGUN SAMOURAI, de Fukasaku, très beau dvd chez HK VIDEO, il faut dire qu'ils ont souvent des masters somptueux, chez HK... Dès le début, dès le superbe idéogramme rouge sang du titre, qu'un Japonais n'aurait pu ainsi cadrer sous peine au choix d'être déchu de sa nationalité ou de faire seppuku, je me suis dit : ça, ce n'est pas le bon format... Ensuite, sur quelques plans, j'ai trouvé que l'équilibre n'était pas parfait, qu'un personnage par exemple était un peu trop au bord du cadre voire légèrement coupé, qu'il manquait un peu d'image sur les bords... Encore un peu dans ma discussion avec Martin Brady, j'ai saisi mon mètre déroulant : 2,23 au lieu des 2,35 annoncés... (Et j'ai aussi quand même le cadre un peu dans l'œil, avec les milliers de projections que j'ai lancées sur un écran scope... n'ai pas souvent pris mon mètre déroulant pour vérifier... Là, c'est pour illustrer, que ça fasse un peu preuve scientifique, pas seulement un soupçon ou une vague impression...) On me dira que j'encule un peu les mouches... N'empêche que ça m'a parfois gêné, qu'il m'a semblé que le film n'était pas entier... Ce n'est qu'un exemple. Il faudrait que je revisionne la totalité de ma monstrueuse dvdthèque et que je m'arrête à chaque fois que je trouve le cadre douteux, que je mesure, vérifie, un travail de fourmi... que je ne suis pas du tout, puisque j'encule les mouches. Pas de quoi en tout cas écrire un article fouillé vous voyez. Restons donc dans la discussion informelle. Pour les curieux, les liens proposés par Nicolas Saada étaient déjà éclairants et on doit pouvoir en trouver d'autres, même si la comparaison de DVD BEAVER concernant LA SOIF DU MAL était discutable, étant donné qu'aucun des deux formats opposés n'était le bon... Pour conclure, je vous trouve un peu dur avec les critiques de cinéma, qui regardent et critiquent ce qu'on leur propose. Ne sommes-nous pas tous des consommateurs? Peut-être aussi que le côté technique les rebute un peu ou qu'ils n'y voient qu'un détail négligeable. N'empêche, me dis-je, quand on sait avec quelle précision Ozu, par exemple, cadrait ses films, chaque objet même minuscule étant disposé au millimètre, l'angle de la caméra très précis, tout cela ayant un sens, une valeur, on ne contemple pas n'importe quoi n'importe comment, je me dis que c'est bien triste quelque part de voir ses films comme bien souvent en 1.33, alors qu'ils sont peut-être bien à l'origine en 1.37... Même si on n'y voit que du feu... Il n'en manque qu'un cheveu?... Je crois qu'il ferait un peu la grimace, Ozu, parce qu'il était peut-être bien essentiel, pour lui, ce cheveu...

[Bonus, ajouté le 23 juin, mais là c'est plutôt un mail anticipé, adressé à Martin Brady pour répondre à certaines de ses questions, y-compris celles qu'il n'aurait pas encore posées, dans un mail qu'il ne m'a pas encore envoyé : Vous parliez de THE RED DANCE, Walsh, 1928... Le 1.20 a bel et bien existé, un court moment, juste avant qu'on fixe le standard des films sonores à 1.37. (En plaçant la piste son sur la pellicule, ça réduisait naturellement l'image dans sa largeur... 1.20 donc (ou 1.24)... Ensuite, on a retaillé l'image, que l'on jugeait peut-être trop carrée, pour arriver au 1.37, un tout petit peu plus large que le 1.33 du muet, tant qu'à faire, on s'est dit, pour bien différencier les deux...) En gros, les formats sont mieux respectés en dvd que par les chaînes télé, Arte y-compris... Il faut faire avec, comme je disais, accepter d'avoir des films téléformés, car on ne nous propose rien d'autre... Nous sommes des consommateurs, rien de plus, rien de mieux... Je n'ai que très rarement vu du vrai 1.37, en dvd, peut-être chez Criterion, Carlotta... C'est bien dommage... (Pour moi, passer de 1.37 à 1.33, ce qui est systématique ou presque, ce n'est pas peanuts, comme vous dites... Voyez comme certains dvd de films en 1.37 commencent en 1.37, avec donc de fines bandes noires en haut et en bas en plus des bandes latérales, pour que le générique de début ne soit pas coupé sur les bords, et comme au plan suivant le générique l'image est zoomée pour emplir le 4/3 vidéo... Ce n'est plus le même rapport de forme... Back to the TV...) Le 1.66, en dvd, est mieux respecté il me semble que le 1.85, car il s'agit souvent de films français édités par des Français et qu'avec le 1.66 on est un peu plus loin du 1.77 que le 1.85 ne l'est... Dit autrement, 16/9èmiser du 1.85 est moins détectable que 16/9èmiser du 1.66, on en coupe un peu moins... Le scope, alors qu'on pourrait penser le contraire, est peut-être le format le plus maltraité... (Si l'on fait abstraction du 1.37 automatiquement quatre-tierisé, ce qui ne gêne peut-être au bout du compte que moi, même si c'est marqué sur la jaquette : Format cinéma respecté...) Sur les chaînes télé, même Arte ne respecte pas vraiment les formats... Tout dépend de ce qu'on entend par RESPECT... (Vu BRAZIL, dernièrement, sur Arte, ou plutôt juste entrevu : Le 1.85 téléformé en 16/9 plein pot...) Le scope, en dvd, c'est souvent là que l'amateur de films a le plus l'impression d'être "comme au cinéma"... alors que c'est un peu presque toujours du scope tronqué... La télé a vaincu depuis longtemps... (C'est Fellini, qui ne serait pas content...) Ce serait pourtant tellement simple de disposer tous les formats cinéma rigoureusement dans l'écran 16/9, puisque c'est devenu le standard de la télé... Mais il y aurait presque toujours des bandes noires, horizontales ou verticales, et une majorité de Téléspectateurs ferait la gueule... Le scope semblerait plus étroit... On nivelle toujours par le bas... Seules les séries et émissions télé seraient plein écran, plus des films italiens, plus certains films américains de certains studios à une certaine époque... La période la plus douteuse, pour les formats de films américains, peut il me semble être située entre 1953 et 1964. Je m'explique : 53 : Le Standard 1.37 n'est plus le seul format. Le cinémascope apparaît, puis les autres formats panoramiques, chaque studio ayant souvent le sien. 64 : loi anti-trust aux States (Patrick Brion en parlait, dans un bonus de dvd il me semble, pour lui c'était la fin de l'âge d'or hollywoodien, cette loi de 64. Pour moi ça avait eu aussi des résonances pour le western (dernier western de Ford, dernier de Walsh, 64...) mais également pour les formats cinéma ... En tout cas, une fois de plus : VIVE BRION!...) 64, donc : Les films des différents studios ne seront dorénavant plus projetés exclusivement dans les salles appartenant aux studios. Par exemple, un film Paramount, avant 64, ne pouvait être projeté que dans un cinéma Paramount. Ce ne sera plus le cas, après la loi de 64. Distribution indépendante de la production et de l'exploitation. Ainsi, tous les formats minoritaires, ayant souvent leurs propres techniques de projection, genre VistaVision (nombreux films d'Hitchcock de cette époque : photogramme sur la longueur de la pellicule et non pas la largeur comme pour les autres procédés, et donc projection horizontale) ou SuperScope (films de Dwan dans le somptueux coffret Carlotta : photogramme sur deux perforations au lieu de quatre : chronos réglés différemment), et d'autres, ne survivront pas car ils nécessitaient des techniques de projection particulières... Si on avait voulu continuer à les utiliser, il aurait fallu que les cinémas aient toutes sortes de projecteurs, un nombre considérable de fenêtres, d'objectifs... Impossible à gérer... Donc, à partir de 1964, si ma déduction est juste, uniformisation : Le 1.85 gagne, en gros, la bataille des formats panoramiques américains non scope, même s'il n'est pas le meilleur... (C'est rarement le meilleur ou le plus fin qui gagne, dans l'histoire technique du cinéma. Voyez comment le 70 mm a disparu. Voyez comment le 35 mm, en ce moment même, est en train de disparaître. Les distributeurs vont complètement cesser, en France, fin 2012 ai-je entendu, de tirer des copies en 35mm. Presque déjà oublié le 35, déjà vintage, comme on dit. En même pas une semaine, brutalement, dans de nombreux cinémas, on a remplacé les projecteurs 35 par des projecteurs numériques... (On en a gardé un ou deux, des projecteurs 35, quand même, pour les soirées Nostalgie, genre "soirée années 80", on joue RAMBO 2, ça plaît bien, une copie un peu verdâtre, des blancs bien poussiéreux, quelques rayures d'époque, un vieux son dolby A tout pourri, c'était comme ça le cinéma, avant...) Le cinématographe, un gros tas de ferraille abandonné derrière un cinéma à côté des poubelles débordant de boîtes de pop corn plus ou moins consommé, qu'un ferrailleur a racheté à la tonne d'acier... (J'en ai eu mal au ventre pendant au moins une semaine...) Mais on savait, grosso modo, depuis 12 ans, que ça allait se passer comme ça... C'est le Progrès... Tout le monde ou presque, à tous les niveaux, a applaudi l'avènement du numérique, un tsunami... C'est comme si, après avoir inventé le synthétiseur, on avait jeté tous les pianos... Moi, le synthétiseur, je trouve ça vachement bien, je ne suis pas du tout contre le progrès ni les nouvelles technologies, bien au contraire, mais le piano, quand même, c'est autre chose... non?... Oui, c'est vrai, je suis un peu snob...) Donc, parenthèse enfin refermée, aux US, c'est entre 53 et 64 qu'il y a le plus de formats, période la plus douteuse donc, il me semble... Il se pourrait bien que même des lieux très prestigieux, comme les cinémathèques, se soient parfois trompés, favorisant le 1.37, qui était pour eux LE format classique, quand ce n'était pas forcément LE BON format... même si je n'ai pas vérifié, que ce ne sont peut-être de ma part que soupçons infondés... (Comme je disais, je ne suis pas du tout un spécialiste des formats, pas un chercheur... CAP de projectionniste, plus un certain intérêt pour les films, plus des petites choses glanées sans les chercher ici et là, ça finit par faire une petite histoire bricolée peut-être bien très subjective...) On discute, n'est-ce pas?... Ensuite, des questionnements, à propos de certaines éditions dvd... Exemples : LE SAMOURAÏ... 1.66? (René Château) 1.85? (Criterion)... Il aimait tellement tout ce qui était américain, Melville, les films, les chapeaux, les lunettes, les bagnoles, qu'il a peut-être bien tourné son film en format américain 1.85... Peut-être qu'on l'a projeté longtemps à tort dans les cinémas en 1.66, juste parce que c'était un film français et que le format panoramique en France était à cette époque plutôt le 1.66... Ou bien peut-être que l'excellent éditeur américain Criterion l'a américanisé et que c'était à l'origine du 1.66... Moi, je n'en sais rien... On a toujours vu, moi en tout cas, LA NUIT DU CHASSEUR (1955) en 1.37 et Criterion (bientôt aussi Wild side il me semble) l'a sorti en 1.66... Et L'HOMME AU BRAS D'OR (1955), alors... 1.37?... 1.85?... Le format devrait toujours être celui qui a été cadré dans l'œilleton de la caméra... Remonter à la source, donc, si elle existe encore, à la fiche technique de tournage... En même temps, cher Martin Brady, je crois bien que tout le monde ou presque s'en fout... Vous n'imaginez pas combien sont rares, dans les métiers du cinéma et notamment de l'exploitation et de la distribution, ceux qui aiment vraiment le cinéma et le respectent donc entièrement... C'est une industrie, le cinéma... et un produit (presque) comme un autre...]